AimeTaVille, par Philippe DRUON, urbaniste

BONNE VILLE

La BONNE VILLE

RENCONTRE ET SECURITE

 

Aristote est, le premier, celui qui a su définir la ville. "La ville doit être construite de manière à apporter à ses habitants, la rencontre et la sécurité". Cette affirmation simple et percutante reste totalement vraie au XXIème siècle : Toute ville a besoin de lieux de rencontre agréables, bien vécus, appropriés par la population qui donnent envie au plus grand nombre de se retrouver en groupe ou individuellement. Mais ajoutez-y de l’insécurité - dans toutes ses variantes : sécurité des personnes, bruit, peurs - et plus rien ne fonctionne. Construisez une ville ou un quartier très sûr mais sans lieux de rencontres, ce ne sera pas de la ville mais tout au plus un repli collectif sur soi. Le nom des lotissements qui se sont créés récemment autour d’Arras en témoigne : Le clos des charmes, le clos de l’abbaye, le clos du buqueux …. A quand le retour des fortifications ? Ces noms ne cachent-ils pas de manière criante l’envie de calme et de ressourcement que la ville ne semble pas apporter ?

 

LE SOCIAL, LE SPATIAL ET LE RÉGLEMENTAIRE

 Autre phrase fondatrice et clairvoyante en ce début de propos : celle de Saint Augustin qui affirme que « la ville c’est des pierres et des hommes ». Du spatial et du social donc. L'urbanisme est une science pluridisciplinaire, une sorte de synthèse réunissant dans une même préoccupation le social, le spatial et le règlementaire et obligeant à manier l’art et les techniques de l'aménagement dans l'intelligence et la compréhension du développement de notre société.

 Ne pas s'en préoccuper, ne pas le comprendre serait lourd de conséquences pour les citoyens et leurs modes de vie.

  

L’URBANISME : UNE PRÉOCCUPATION ESSENTIELLE DES ÉLUS

 Les auteurs de ce document souhaitent interroger les candidats aux élections et obtenir leur avis sur ce diagnostic et ces propositions. Le débat public de l'urbanisme est important car il concerne l'habitant et ses modes de vie.

 Le premier magistrat de la commune ou de la communauté urbaine porte une responsabilité évidente et directe dans l'aménagement de la ville et des territoires sous son influence : par sa capacité à délivrer des autorisations d'urbanisme, l'élu se place, de fait, en position d'aménageur.

 Cette contribution a pour but de le mettre au centre de cette position et de lui rappeler que la bonne compréhension des problèmes d'urbanisme durable est primordiale parce que cette notion touche à l'économique, à l'environnemental et au social.

  

COMPRENDRE LES MODIFICATIONS SOCIÉTALES

 Les modifications sociales et sociétales de ce siècle sont inédites. Elles sont connues mais il est bon de les rappeler car elles apportent de l’intelligence dans nos projets :

  • Accroissement exponentiel de la population mondiale, cet accroissement touchant également la France, plus que d’autres pays européens. L’INSEE et la Région nous affirment que le Nord-Pas-de-Calais sera peu concerné par cette augmentation car l’excédent du à une natalité vigoureuse est annulé par le départ vers des régions méridionales de notre jeunesse et de nos retraités. C’est l’héliotropisme : les jeunes recherchent dans le sud emploi et qualité de vie, les séniors retournent le plus souvent sur leurs lieux de vacances en quête de chaleur et de calme. Parfois, ils n’y trouvent pas leur compte et remontent chercher la chaleur des relations du nord !

  •   Cette stabilité autour de 4 millions d’habitants de notre population nous amène à considérer l’équilibre des territoires des lors que certains d’entre eux se projettent avec une augmentation de 3 ou 5 % : où prennent-ils la population ? Les territoires cibles sont-ils d’accord sur ces scénarios. La compétitivité des territoires a-t-elle alors un sens ? Ne faut-il pas plutôt s’inscrire dans une coopération des territoires ? Un développement qui se ferait au détriment d’un autre ne semble avoir aucun sens. Seule une « croissance endogène », celle qui permet la richesse et l’emploi à partir de rien, en se basant sur la création et l’innovation, semble la bonne direction pour un développement durable.  

  • Vieillissement jamais connu de la population. Dans 20 ans, la probabilité de rencontrer, en se promenant dans les rues d’Arras, des personnes de plus de 60 ans sera supérieure à 50%. Certes, certaines villes du sud-est nous dépassent d’ores et déjà en raison de l’héliotropisme déjà mentionné et notre région se vante d’accueillir une population jeune qu’il faut aussi retenir...Saurons-nous capter notre jeunesse ?  

  • Décohabitation - mais aussi recohabitation - des ménages. Si nos arrières grands parents revenaient sur terre, ils seraient surpris essentiellement sur deux niveaux : nos modes de vies et les nouvelles technologies. A leur époque, ils vivaient en communauté familiale intergénérationnelle et immobile; Désormais chaque génération vit séparément et souvent, en raison de la séparation des couples, il faut deux logements pour une famille ! A cette séparation physique s’ajoute l’éloignement qui s’est accéléré à partir de 1970 avec la diffusion généralisée de l’automobile.  

  • Paupérisation Tous les observateurs convergent sur ce point : notre avenir est plus orienté vers une certaine frugalité que vers une opulence revenue. Il faut préparer une ville frugale, « aimable », vivable, économe de ses moyens, intelligente, une ville des circuits courts, facile à utiliser … : on voit de manière intuitive comment ce que cette ville doit contenir comme ingrédients.  

  • Augmentation phénoménale des temps réservés aux loisirs : comme le calcule Jean Viard, nous avons gagné, en un siècle, 400 000 heures de temps « à soi » au cours d'une existence.  

  • Hyper mobilité Mondialisation : alors que nous parcourions en moyenne 5 kilomètres par jour en 1950, nous parcourons aujourd'hui 45 kilomètres par jour en moyenne, soit 9 fois plus. La mobilité est source d’épanouissement, d’équilibre, de connaissance. Mais nos modes de déplacement vont forcément changer avec la fin du fossile et le renchérissement de l’électricité. Les aires de covoiturage connaissent un franc succès. Les autostoppeurs sont toujours « à la ramasse » et en insécurité à la sortie des villes : n’est-il pas venu le moment de mettre en place des lieux d’autostop sur chacun des grands axes routiers ? Le coût : un abri, un peu de lumière et 20 m2 d’enrobés.

  • Les NTIC, l’Urbanisme 2.0 : Gérard Mermet, sociologue, a classé dans ses « Francoscopies » le francais en Mutant, Mouton, Mutin. Certes une personne n’est jamais tout l’un ou tout l’autre mais il faut reconnaitre une vérité certaine à ce classement, le mutant étant celui qui trouve son compte dans les nouvelles technologies, les réseaux sociaux et les données en ligne. Il ne faut pas négliger le fait que les nouvelles technologies peuvent beaucoup apporter à la ville et au citoyen dans la gestion dynamique quotidienne; les quelques expériences d’urbanisme 2.0 ayant été très encourageantes.  

  • Menace sur la ressource, toutes les ressources : l’eau, les terres agricoles, les combustibles fossiles, le climat, la nourriture, la biodiversité. La ressource n’est plus à exploiter mais à préserver. C’est un changement d’attitude qui a et aura des répercussions sur chacun d’entre nous, nos modes de vie, nos certitudes, nos habitudes. Ces changements sont encore assez peu perceptibles dans notre territoire : d’autres villes, d’autres régions en France et plus souvent en Europe de nord se sont depuis placées dans une attractivité écologique et urbanistique certaine. Nous les présenterons plus loin en les plaçant sur des échelles de grandeur.

  • Le tourisme et l’attractivité par un urbanisme exemplaire et une architecture innovante n’est pas une expression dénuée de sens. Cinq Mille français se rendent chaque année à Fribourg pour visiter les quartiers Vauban et Reisefeld. Rennes métropole a développé la notion de tourisme de promenades urbanistiques et architecturales. On peut donc considérer qu’au tourisme patrimonial qu’Arras connait - à juste titre - auquel s’ajoute le tourisme de mémoire, pourrait s’ajouter, comme dans d’autres territoires qui ne connaissent pas les deux premiers, le tourisme d’attractivité urbanistique et architecturale. Quand on va au Louvre-Lens, on admire le dedans et le dehors ! Si le bâtiment du musée Guggenheim avait été ordinaire, « l’effet Bilbao » aurait été impossible. Des cars se déplacent désormais à Amiens métropole pour visiter de nouvelles opérations d’urbanisme innovantes où la population reconnait spontanément son bien-être. Qu’y-a-t-il d’attractif sur ce thème dans notre territoire ?

  • Menace sur la Ville. Nous l’avons vu, il y a une fuite de nombreux citoyens de la ville vers le périurbain. On la justifie le plus souvent par la cherté des opérations intramuros ou par la volonté de réaliser une opération financière transmissible, par le besoin de place – les logements en villes seraient inadaptés aux besoins de la famille - ou enfin par la quête de nature. On voit le risque d’une telle situation : une ségrégation parmi les habitants de la ville; une ville vieillissante n’accueillant plus que des ménages âgés y revenant à la recherche de loisirs et de culture. Ce serait une catastrophe urbaine autant que économique que sociale. La ville est à tous : actifs et inactifs, jeunes et retraités, riches et modestes, classiques et bobos. Là comme ailleurs, ce qui fait sa force, c’est sa diversité. Il nous faut donc réfléchir et examiner s’il n’y a pas d’autres raisons de départ que celles décrites ci-dessus : N’y-a-t-il pas des tares portées par la ville qui en feraient fuir ses habitants. Des raisons qui feraient que les bonus seraient inférieurs aux malus, autrement dit que les gains de la rencontre seraient inférieurs aux craintes de la sécurité. Une certaine « urbaphobie », décrite par ailleurs, cite le plus souvent la pollution et les miasmes, la promiscuité, le bruit, l’insécurité. Force est de constater que toutes ces caractéristiques, si elles sont exactes, relèvent principalement de la gestion de la ville. La pollution en ville a nettement régressé par l’amélioration des systèmes de chauffage et la part liée à l’automobile est moins élevée sous le double effet d’un moindre trafic en centre-ville et d’un meilleur rendement des moteurs. La promiscuité, quand elle n’est pas dénoncée au titre de la recherche d’un repli sur soi, est en réalité une diversité évidemment nécessaire, la ville ne pouvant être la propriété exclusive d’une classe sur l’autre. Reste le bruit et l’insécurité que je placerai un peu sur le même plan. Parce que le bruit est une agression, qu’il touche personnellement et physiquement la personne et qu’il est le fait d’un individu qu’il traumatise réellement. La recherche d’une ville aimable et apaisée doit être un axe de travail permanent pour les élus, d’abord par la recherche de calme. On est frappé, quand on vit dans les villes d’Europe du Nord du caractère paisible de ces villes. Certes, la voiture y a une place beaucoup moins dominante mais les engins à moteur bruyants y sont bannis. On peut citer à cette occasion l’excellente initiative de la ville de Pau (84 000 habitants) qui, par l’opération « touche pas à ton pot » a tout simplement récompensé les motocyclistes respectueux en leur redistribuant une prime provenant de ceux qui avaient été verbalisés pour modification illégale et le plus souvent sonore de leur engin. Simple mesure qui a permis de retrouver un niveau de calme en ville qui fait défaut à ARRAS. Enfin, l’insécurité c’est également la vitesse. Certes des Zones 30 ont été mises en place. Mais sans contrôles, ces mesures ne servent à rien : la vitesse moyenne dans le bas de la rue Saint Aubert reste une vitesse de boulevard urbain et la déclivité naturelle de la route aggrave la situation. 30 c’est 30 : à 35 on verbalise car il y va de la sécurité de tous. Et ceci à toute heure du jour et de la nuit.

Les habitants déclarent souvent : « on va partir et faire construire une maison à (ville de campagne). On a envie d’être au calme et à la nature ». Mais cette légitime recherche de tranquillité et de ressourcement est-elle satisfaite dans le péri-urbain ? Avec objectivité, très rarement : celui qui a vécu le bal des tondeuses du samedi après-midi, quand ce n’est pas le dimanche matin, et le passage de la sulfateuse dans le champ riverain ne pourra me contredire.

Il faut rechercher les qualités que les gens vont chercher à l’extérieur des villes et les ramener en ville. Hervé VINCENT, Architecte (Lyon).

Cette réflexion doit nous guider dans l’aménagement de la ville car elle traduit intuitivement la première recherche du citoyen : un cadre de vie apaisé intégrant la nature. La responsabilité de l’élu dans cet apport de bien-être est évidente. Yves Duteil, lors d’une intervention à Cité Nature en octobre 2009, illustrait merveilleusement bien cette capacité. Alors qu’il voulait urbaniser un secteur de sa commune (Precy sur Marne), il a fait le choix d’un plan masse favorisant clairement le rapprochement entre habitants. Depuis la livraison de l’opération, disait-il, par la manière dont l’opération a été conçue (desserte voiture par l’arrière et large espace public central ouvert à tous au centre) et par les rapports sociaux qu’ils ont engendrés, des repas sont spontanément et très fréquemment organisés entre habitants : repas malgache, vietnamiens, algériens, … les 13 ethnies présentes dans l’opération offrent autant leurs repas que leurs riches diversités culturelles.

Certes, chacun sait que les demandes des habitants sont souvent individualistes. Mais mises bout à bout, ne traduisent-elles pas, en réalité, une demande sociétale globale : une ville sure, agréable, où les rapports entre personnes sont apaisés. La traduction habitante est : bruit, vitesse, crottes de chien. C’est bien un aspect important de la sécurité et de l’éducation qui s’exprime derrière ces mots que l’on aurait tort de trouver réducteur.

Le cadre de vie que l’on offre au citoyen est déterminant : on peut fabriquer des ghettos ou au contraire des lieux de rencontre. C’est une question de choix politique d’abord et d’intelligence technique ensuite.

« Un homme qui n’est pas informé est un sujet, un homme informé est un citoyen » a dit un jourAlfred Sauvy, sociologue. Faire participer l’habitant n’est pas qu’une obligation règlementaire. Parce qu’il permet au plus humble de s’exprimer, donc d’exister, la démocratie participative (beau pléonasme) est une source d’épanouissement personnel. Quelles que soient ses revendications, il est reconnaissant quand on lui permet cette expression directe.

  • La ville et ses rythmes :

La rue a ses flux, ses rythmes qui débutent avec l'heure des écoles et des salariés. La matinée est le temps des livraisons. La ville est fréquentée le midi par les salariés en pause autant que par les étudiants des grands bahuts. Les courses et les promenades de l’après-midi font les bonnes heures des commerçants et annonce l'heure de sorties de bureau. Vient enfin l’heure des restaurants avant les sorties théâtres ou cinéma.

Chacun est légitime dans sa fonction pour utiliser le même espace avec ses exigences propres : fonctionnalité, facilité et rapidité d’accès pour les uns, bien être apaisement et sécurité pour les autres. Souvent les demandes peuvent paraître contradictoires. Comment alors partager de l’espace public ?

Mais surtout : Comment anticiper sur une autre vision de l'aménagement, moins dépendante de la voiture et intégrant dès maintenant le vieillissement de la population et ses inéluctables répercussions en terme de mobilité ? La bonne ville est celle qui aura su anticiper. Mais le pas de la ville est un pas long. On estime à 20ans le temps nécessaire pour y apporter des modifications importantes.

Bien sûr, il nous faut un regard global sur ces données fragmentées car interactives : la mondialisation est accélérée par nos voyages à l’autre bout de la planète, rendue possible par les NTIC, parce qu’on a plus de temps libre et que les voyages sont moins chers….. La décohabitation est facilitée par l’autonomie et la circulation.

On peut alors affirmer que l’exclus, de nos jours, est, notamment, celui qui n’a pas accès aux NTIC, ne peut pas se déplacer et n’a pas accès aux loisirs. D’ailleurs, dans la recherche d’emploi, un des premiers critères des demandeurs s’exprime désormais ainsi : pourrai-je encore avoir du temps libre le soir ou le WE ?

LA VILLE DURABLE ET SES EXIGENCES

Ainsi, il apparaît que la ville durable possède un certain nombre de caractères propres :

  • Respectueuse : de son histoire et de son environnement, de ses paysages urbains et périurbains, mettant en valeur du patrimoine...

  • Aimable et apaisée : transports, densités, espaces publics, espaces naturels et agricoles, rapports ville/péri-urbains/campagne…

  • Ouverte et participative : logement, mobilités, accessibilité, équipements publics…

  • Accessible : au sens des coûts (transports, énergies), de la mobilité, de ses rapports avec ses franges périurbaines et son périurbain plus lointain.


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